
Article écrit par Jean-Marie Lacrosse et publié dans Pro J, n°13, mars 2015-mai 2015
Version légèrement amendée
En donnant un tel titre à mon propos, je me fournis sans doute l’occasion de tester d’emblée sa pertinence. Le titre n’est jamais sans importance pour un auteur, qu’il le choisisse avant ou après avoir rédigé l’essentiel de son texte. Il y a et il y a toujours eu de bons et de mauvais titres, tout le monde en conviendra. Mais ce qui caractérise la scène contemporaine, c’est particulièrement vrai dans la sphère médiatique, c’est le classement automatique de l’auteur, à partir du choix même du titre, dans un camp ou dans l’autre, droite ou gauche, progressiste ou réactionnaire par exemple, ou dans un autre registre, antisémite ou islamophobe. Pas besoin à la limite de lire le livre où même pas recommandé de le lire s’il s’avère être du « camp » opposé au sien.
Voilà bien, me semble-t-il, un symptôme caractéristique de la débâcle de la pensée dans laquelle nous nous sommes plongés aujourd’hui. La réception de deux livres récents, qui ont tous deux été de gros succès de librairie, vient spectaculairement d’illustrer ce climat intellectuellement délétère : il s’agit de « L’identité malheureuse » d’Alain Finkielkraut et du « Suicide français » d’Eric Zemmour. La débâcle de la pensée évoquera donc ainsi, quasi automatiquement, « La défaite de la pensée », un essai d’Alain Finkielkraut datant de 1987, qui ne m’avait pourtant lors de sa sortie pas inspiré outre mesure. Je pensais à l’époque, naïvement peut-être, qu’une nouvelle ère de la pensée, fondée sur la remise en honneur du Politique, était en train de naître, et que les schémas intellectuels, pour l’essentiel nietzscheo-marxistes, qui avaient nourri mes études de sociologie étaient arrivés en bout de course. Il ne faudrait sans doute pas beaucoup plus qu’une décennie, pensais-je, pour que cette nécessaire refondation -le mot n’était pas encore dans l’air du temps- ait lieu. Illusion alimentée par le fait que, dans ce court laps de temps, ce renouveau de la pensée politique disposait en Belgique d’une formidable courroie de transmission médiatique en la personne de Jacques Baudoin et de son émission du dimanche matin « Arguments ».
Le feu de paille qu’aura finalement été ce court épisode reste pour moi un des grands mystères de ma propre trajectoire intellectuelle, entamée au début des années 1970, même si, dès le début des années 1990, on pouvait percevoir chez nos contemporains une incapacité croissante à saisir le sens élémentaire des choses. Lire la suite →
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