(hommage de Marcel Gauchet et Jean-Pierre Le Goff)
Paul Yonnet vient de disparaître à l’âge de 63 ans. Il restera comme l’un des observateurs les plus originaux et les plus pénétrants de la société contemporaine. Au fil d’une dizaine d’ouvrages, il a bâti, depuis les années 1980, une œuvre sociologique puissante et singulière, en marge de l’Université, qui éclaire comme nulle autre l’expérience si déroutante de notre post-modernité.
Né dans la Manche en 1948, enfant de ce baby-boom sur lequel il n’a cessé de réfléchir, Paul Yonnet a fait ses études de sociologie à Caen (où il a été notamment l’élève de Claude Lefort) et à Toulouse. Il a mené toute sa carrière professionnelle au sein d’une organisation inattendue, l’Union nationale des associations familiales (UNAF), qui lui a fourni, en dépit de lourdes contraintes dont il se plaignait souvent, un observatoire privilégié pour quelques-uns des faits sociaux qui lui paraissaient les plus significatifs. L’ensemble de son œuvre tourne autour des formes nouvelles de l’existence dans les sociétés démocratiques. Sa démarche consistait en général à partir de petits faits négligés ou jugés marginaux par la science sociale officielle, – le tiercé, le jogging, le look, les animaux de compagnie -, pour en tirer le sens profond, du point de vue de leurs acteurs. Personne n’a parlé comme lui de ce qu’a voulu dire le rock pour une génération. Jeux, modes et masses, son premier livre, en 1985, recueil d’articles parus dans Le Débat, dont il fut l’un des auteurs emblématiques, a représenté une révélation pour beaucoup, à la fois par la méthode d’exploration mise en œuvre et par le renouvellement du regard sur la société en train de se faire qui en résultait.
Par la suite, Paul Yonnet s’est consacré en particulier à la sphère qui lui paraissait la plus méconnue et la plus expressive de notre société, celle des loisirs (Travail, loisir, 1999). Dans ce cadre, il s’est concentré sur ce phénomène fondamental qu’est le sport, l’une des mines les plus fécondes pour l’anthropologie du contemporain (Système des sports, 1998, Huit leçons sur le sport, 2004).
En dernier lieu, il s’était appuyé sur son objet professionnel, la famille, pour en scruter les métamorphoses, à distance des statistiques et des textes de loi qui constituaient son pain quotidien. Il n’aura eu le temps de mener à bien qu’un premier volume, Le recul de la mort (2006) consacré aux effets de la vie longue et de la contraception sur le statut de l’enfance. Il avait en chantier un second volume, qui devait aborder les rapports hommes/femmes.
L’un de ses livres, Voyage au centre du malaise français (1993) avait suscité une vive polémique, en raison de la mise en lumière subtile du racisme au cœur de l’antiracisme à laquelle il se livrait. Bientôt vingt ans après, il fait figure prophétique. Paul Yonnet aura donné l’exemple de l’exigence de vérité en clerc qui entendait ne pas trahir.
Marcel Gauchet et Jean-Pierre Le Goff