Extraits choisis d’un entretien avec Laurent Bouvet, auteur du « Sens du peuple » et professeur de science politique à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, publié le 26 mai 2014 par Marianne.
Propos recueillis par Kevin Erkeletyan.
L’abstention n’explique-t-elle pas en bonne partie la « victoire » du FN ?
Laurent Bouvet : Pas cette fois. Pour la première fois, la petite hausse de la participation a profité au FN, alors que d’habitude c’était le contraire. Ce qui montre que le FN est désormais un parti installé, avec un fort vote d’adhésion. Ce n’est plus seulement un parti de protestation.
Le gouvernement est-il le principal responsable de cet échec ?
Sa responsabilité est importante parce qu’il a mené une politique de droite, indifférenciée de celle que menait la droite de Sarkozy. Et il n’a pas tenu ses promesses faites sur l’Europe en ne renégociant pas les traités, comme il l’avait annoncé en 2012.
Le vote de ce soir est-il un rejet de l’Europe ou seulement d’une Europe ?
On paye ce soir la construction européenne comme elle est menée depuis trente ans. On n’a jamais vraiment demandé aux gens quelle Europe ils voulaient. On leur a dit : voilà l’Europe comme elle doit être, c’est à prendre ou à laisser et si vous n’en voulez pas, vous n’êtes que des abrutis. C’est comme ça depuis les années 1980. On a finalement l’impression que si on avait dit non à Maastricht, ça n’aurait pas changé grand-chose, quand on voit ce qu’il est advenu du référendum de 2005…
Faut-il donc sacrifier l’Union européenne ?
Non, l’Union européenne doit survivre, on ne va pas en sortir comme ça, d’un coup. Une immense majorité d’Européens a quand même compris qu’il fallait construire un projet commun, que c’était essentiel. Mais l’Union européenne d’aujourd’hui est un vide politique. La construction européenne est guidée depuis trente ans par une politique libérale au sens profond du terme. Et ce qui est clair, c’est que cette politique non démocratique n’est plus approuvée par une majorité d’Européens.