Entretien avec Bruno Sedran publié dans La Libre le mardi 3 décembre 2013 et disponible en ligne sur lalibre.be
Propos recueillis par Charles Van Dievort.
Les enquêtes Pisa donnent l’impression qu’on pourrait reprendre des recettes toutes faites pour qu’un pays « performe » mieux en matière d’enseignement. Or, ce n’est pas vrai. Ces enquêtes omettent ces questions importantes qui sont la connaissance du sens des savoirs, de ce qu’est apprendre et des conditions dans lesquelles évolue l’éducation.
A vos yeux, les enquêtes Pisa sont-elles utiles ?
Elles peuvent l’être à condition de bien comprendre ce qu’elles évaluent. Ce n’est qu’alors qu’on peut déterminer leur portée et ce qu’on peut en faire. Elles permettent de montrer certains faits. L’importance de l’écart socio-économique existant entre les élèves en Belgique par exemple. Ceux qui « performent » le mieux lors des tests Pisa sont ceux qui ont hérité d’un niveau socio-culturel important de la part de leurs parents. La dimension de transmission familiale compte beaucoup. Par contre, si ces enquêtes doivent servir à rechercher des systèmes ou des pédagogies à transposer pour améliorer l’enseignement dans un pays, je pense que c’est un leurre.
Doit-on comprendre qu’on peut faire dire à ces enquêtes ce qu’elles ne disent pas ?
Les enquêtes Pisa ne s’intéressent pas à la qualité des acquis scolaires, mais à des compétences qui sont des notions issues du monde de l’entreprise. Il s’agit de savoirs et de savoir-faire destinés avant tout à faire face à des situations professionnelles. Même si les compétences peuvent avoir une valeur en soi, je pense qu’elles ont tendance, à travers une dimension utilitariste de l’enseignement, à éclipser la dimension que l’école n’a pas qu’un lien avec les apprentissages scolaires. Bien au contraire, elle est aussi une institution dans laquelle on apprend un rapport au monde et à la culture. Les enquêtes Pisa ne nous disent rien sur la question des sens des savoirs et des sens de la culture.
Les résultats de ces enquêtes ne constituent donc pas un baromètre de la qualité de l’enseignement ?
L’enquête n’a pas pour objectif principal d’améliorer les systèmes scolaires. Elle ne s’intéresse pas aux programmes, mais seulement aux compétences acquises par les élèves. Avec l’OCDE qui réalise ces enquêtes, il y a vraiment une culture du chiffre et du classement. L’accent est plutôt mis sur la dimension économique des problèmes. L’OCDE a un lien étroit avec la mondialisation qui nie en tant que telles les spécificités culturelles, institutionnelles et politiques des pays. On met donc tous les pays sur la même échelle. Impossible du coup de comprendre ce qui se joue au niveau collectif et qui est lié à la culture du pays et à son histoire. L’éducation, ce n’est pas seulement une appropriation individuelle d’un certain nombre de savoirs et de savoir-faire.
Comparaison n’est donc pas raison ?
En effet. Les enquêtes Pisa oublient notamment qu’il y a différents modèles d’enseignement : français, allemand, nordique, etc. Ils ne sont pas identiques et n’ont pas non plus les mêmes finalités de par leur histoire. Les enquêtes Pisa ont tendance à niveler tout le monde comme si l’éducation n’était qu’une affaire de chiffres, de performances et de systèmes transposables de pays en pays. On l’a vu avec la Finlande. Quand le pays est arrivé dans le top 3 lors des dernières enquêtes, tout le monde s’est tourné vers lui pour aller chercher des solutions parce qu’il est passé d’un système catastrophique à un système fantastique sur le papier. Personne n’a cependant essayé de comprendre ce qui s’est joué derrière cette amélioration en termes d’histoire et de choix de société. Or, c’est en cherchant dans les racines historiques de la Finlande pourquoi l’éducation y a tant d’importance, qu’on comprend les efforts qu’ils ont fournis en la matière et vis-à-vis de ce système qui a fini par produire ses effets après plusieurs années. Les enquêtes Pisa nient complètement ces choix de société et l’histoire sous couvert d’un universel. La Belgique, avec son système institutionnel, n’est pas la Finlande. On ne sait pas transposer des solutions toutes faites.
Avez-vous le sentiment qu’en Belgique on s’accroche trop à ces enquêtes pour orienter la politique de l’enseignement ?
Cela pose en effet des problèmes parce que c’est un modèle de compétition en lien avec l’emploi, l’efficacité de l’économie, etc. Selon moi, l’enseignement ne peut pas se résumer à la mise en place d’aptitudes à répondre à des savoirs et à des savoir-faire. Je suis intimement convaincu qu’il faut essayer de travailler sur les conditions qui permettent à l’enseignement de fonctionner. Les enquêtes Pisa ne mettent pas en avant cette question et ne permettent pas d’y répondre.
Relire l’article : Enseignement : PISA et le mirage finlandaise