Billet publié le 11 février 2013 par Sanche sur le blog Dé-clics Littéraires.
Enron ! Ce nom qui fait raisonner les cymbales du scandale. De 1990 à fin 2000, le cours de l’action Enron augmente de 554% avec un titre qui cote 83,13$ au crépuscule du XXème siècle. Au même moment l’entreprise énergétique américaine se valorise à 60 milliards faisant d’elle la 7ème capitalisation boursière mondiale. Son chiffre d’affaires flirte avec les 100 milliards puis enjambe la barre des 110 milliards en 2001. Bref, Enron c’est du lourd, du très lourd ! Quelques mois plus tard son action ne vaut plus que 0,03$: c’est la faillite et les dirigeants sont traduits devant la justice. 18 cadres seront condamnés à un total de 84 années de prison et le PDG du groupe comptabilisera à lui seul 24 ans derrière les barreaux. Mais que s’est-il passé ?
The Smartest Guys in the Room, livre sorti en 2003 puis adapté en film documentaire en 2005, est une histoire de fous furieux qui nous expose la vie de psychopathes. Bethany McLean et Peter Elkind, deux journalistes de Fortune qui avaient été les premiers à l’époque à révéler le scandale, nous racontent tout dans les moindres détails. Difficile à croire…
Enron c’est avant tout une histoire d’hommes. Il y a d’abord Kenneth Lay, son Président emblématique. Tout commence en 1985 lorsque que son entreprise de gaz texane Houston Natural Gas est rachetée par une autre compagnie, texane elle aussi. Le résultat de la fusion s’appelle Enron. Kenneth Lay entre alors au conseil d’administration et se fait élire Président, rôle qu’il endossera jusque dans les dernières secondes du naufrage. Sa vie nous la connaissons tous finalement. Issu de classe presque moyenne, fils de pasteur, doctorat d’économie à Houston, premier boulot chez Exxon, il fait alors de la dérégulation de l’industrie gazière son cheval de bataille au début des années 80 et se fait intime avec tous les décideurs politiques de l’État. Peu avant le scandale il était en pole position pour effectuer un mandat en tant que Ministre de l’Énergie au sein de l’administration Bush. Kenneth Lay est de ceux qui, même jeunes, avaient déjà l’air vieux. Derrière ce sexagénaire réservé, paisible et à la mine plutôt joviale se cache pourtant une personne sans scrupule, avide et à l’appétit insatiable. Qui l’eut cru ?
À l’inverse il y a des hommes dont on peut dire qu’ils ont leur âme marquée sur leur visage. Jeffrey Skilling, sourire carnassier, yeux de faucon et allure de squale ne laisse aucune place au doute. Ex- McKinsey, diplômé d’Harvard, Skilling se revendique Mozart de la Finance. Nommé par Kenneth Lay au poste de PDG, il fait de sa passion des théories darwinistes les bases de son Management. Chaque année, 10% des traders les moins performants de l’entreprise sont licenciés sur le champ à l’annonce des résultats. La face immergée de l’iceberg… Au cours des années 80, la Finance Déclics Littéraires, Blog de chroniques littéraires, Idées de livres, Enronaméricaine connaît une expansion sans limites grâce aux nouvelles technologies. Tout se « titrise » et notamment l’énergie qui présente les plus grosses sources de profits mais également de risques. Jeffrey Skilling, avec l’accord bienveillant de Kenneth Lay, transformera alors cette fusion de deux entreprises traditionnelles en une industrie financière virtuelle jouant avec les actifs, eux bien réels, relatifs au cœur de métier d’Enron.
L’idée est simple : fixer un prix maintenant d’un baril de pétrole, d’une quantité donnée de gaz ou d’électricité que vous vendez, mais avec livraison dans 1 mois. Si entre-temps le prix a baissé vous gagnez et s’il a augmenté vous y perdez. Et inversement si vous achetez. Ce système permet de déclarer à l’avance dans la comptabilité du Groupe de potentiels futurs profits liés à ces opérations de trading, c’est ce que l’on appelle le Mark-to-market accounting. La machine se met en marche, les bonus pleuvent alors par centaines de millions et des investissements colossaux sont réalisés sur les cinq continents. Mais que se passe-t-il si les prévisions s’avèrent fausses ? Le grand public ne le sait pas encore, mais les stratégies industrielles conduites par Enron se révèlent catastrophiques. Au fil des ans, l’entreprise crée de moins en moins de valeur tandis que sa côte boursière atteint des sommets vertigineux. Comment palier alors à cette asymétrie ?
L’apprenti sorcier, que dis-je l’alchimiste, qui a transformé les pertes colossales Déclics Littéraires, Blog de chroniques littéraires, Idées de livres, Enrond’Enron en profits florissants, se nomme Andy Fastow. À peine nommé directeur financier il s’attelle à la tâche et crée tout un réseau de sociétés écrans qui absorbent les actifs nocifs d’Enron, allégeant ainsi considérablement son bilan et gonflant artificiellement sa valeur de marché. Leurs noms rocambolesques (ex: Jedi, Raptors) traduisent l’ampleur du sinistre. Fastow c’est du Madoff à l’échelle industrielle et lors de ces opérations il se mettra tout de même 45 millions de dollars dans la poche. Dans le même temps ce sont des états financiers exceptionnels qui sont publiés dans la presse. Fortune se fera alors berné comme tant d’autres publications, et désignera Enron comme entreprise la plus innovante pendant 5 années consécutives, de 1995 à 2000. Malheureusement pour le petit peuple américain, la bande de joyeux lurons ne s’arrête pas là. En effet, les pertes sont si gargantuesques qu’il leur faut trouver de nouvelles sources de profit très rapidement. Une terrible idée leur vient alors à l’esprit.
Au fil du temps Enron s’est diversifié et s’affirme comme l’un des principaux Déclics Littéraires, Blog de chroniques littéraires, Idées de livres, Enronfournisseurs d’électricité du pays. Parallèlement à cela son département financier regorge de traders qui parient à la hausse ou à la baisse sur le marché de l’électricité. Ne constatez-vous pas un formidable conflit d’intérêts ? En effet pourquoi ne pas réduire l’offre sous prétexte de fausses pannes de centrales par exemple, afin de voir grimper les prix sur le marché ? Ayant accès à cette information les « gamblers » d’Enron ne risquaient plus trop de se tromper… La victime de ce stratagème vicieux se dénomme la Californie. Celle-ci perdra des dizaines de milliards de dollars et les coupures de courant seront telles que l’on parlera de crise énergétique californienne. Le gouverneur de l’époque prend alors conscience que quelque chose ne tourne pas rond, que le marché est manipulé et prône alors un retour à la régulation. Sentant le vent tourner, Le Top Management « Enronien » fait alors jouer son réseau et c’est un homme politique d’une finesse inégalée qui est catapulté sur les rails du pouvoir : Terminator !
The Smartest Guys in the Room est un documentaire qui joue avec nos nerfs ; au fil des minutes on ne sait plus très bien si l’on doit rire ou pleurer. En effet la mascarade est tellement ubuesque qu’elle tourne forcément au comique. Mais la faillite d’Enron a mis sur le carreau plus de 20.000 employés à travers le monde, leur faisant perdre dans le même temps l’essentiel de leurs fonds de retraite. Du côté des responsables, Skilling écopera de 24 ans, son adjoint se suicidera d’une balle pleine tête assis dans sa voiture, Fastow s’en tirera avec 10 ans pour avoir coopéré avec la justice. Kenneth Lay, lui, succombera d’une crise cardiaque moins de 2 mois après la fin du procès.
Déclics Littéraires, Blog de chroniques littéraires, Idées de livres, Enron Ce film c’est vraiment de l’action à l’état pur, et la BO n’y est pas pour rien. Il y a tout dans ce reportage, les millions à gogos, les traders vicieux, les mensonges incessants, le tout chapeauté par une sélection croustillante de bandes son et d’enregistrements vidéos tout aussi compromettants les uns que les autres. Que dire des extraits du procès… Quelle jouissance ! Enron c’est un scandale qui a concerné l’ensemble des États-Unis depuis le petit électricien jusqu’au décideur politique et qui ne laissera donc personne indifférent. C’est une allégorie de toutes les magouilles qui peuvent avoir cours dans le cercle très fermé de la haute finance et où une multitude de parties prenantes est concernée. Ainsi seront impliqués un grand nombre de cadres de banques prestigieuses, telles que Citigroup, JP Morgan, Merril Lynch, qui seront également jugés lors du procès. La faillite du Groupe sonnera aussi le glas d’un des plus grands cabinets d’Audit au monde à savoir Arthur Andersen, qui avait fermé les yeux sur le pot aux roses. Et dire que la devise d’Enron était « Ask Why » ! Si la cupidité est le reflet de l’intelligence, nul doute que ces brigands en col blanc ont été les smartest guys in the room….