De Nabilla à Facebook : les ados, la quête de notoriété et l’angoisse de la solitude

Article rédigé par Sébastien Dupont et publié sur plus.nouvelobs.com le 12 avril 2013.

Trash, vide de sens et même jugée dangereuse, la télé-réalité sévit sur nos écrans depuis plus de dix ans. Sur NRJ 12, l’émission « Les Anges de la téléréalité » fait un carton auprès du jeune public. Nos ados s’identifient-ils à ces pseudos starlettes ? Réponse avec Sébastien Dupont, psychologue auprès d’enfants et d’adolescents.

Depuis leur arrivée en France à l’aube du millénaire avec « Loft Story », les émissions de télé-réalité se sont multipliées, remportant souvent un franc succès auprès du public adolescent. De nombreux observateurs se désolent de la qualité déclinante de ces émissions. Certaines reposent en effet essentiellement sur le racolage, l’indigence verbale, le mépris des participants les uns envers les autres…

De nombreux adultes sont catastrophés face à ces émissions : sont-elles à l’image de la jeunesse actuelle ? Vont-elles l’influencer ? etc.

Une fonction cathartique

On affirme trop souvent comme une évidence que la télévision est un reflet de la société qui la produit et la regarde. Or, ce postulat est largement discutable. Penserait-on en effet à l’appliquer au théâtre antique ou aux jeux de gladiateurs ?

La production culturelle ne remplit-elle pas au contraire des fonctions de catharsis et de projection des tendances les plus extrêmes et marginales qui agissent dans l’imaginaire collectif ? N’a-t-elle pas pour caractéristique d’accentuer et d’indiquer sous la forme de lignes de fuite des phénomènes qui n’existent qu’à l’état embryonnaire dans la société ?

Il est ainsi plus qu’hasardeux de penser que les émissions de télé-réalité représentent la jeunesse qui les regarde. Elles nous instruisent en revanche sur certaines tendances psychologiques et sociétales qu’elles révèlent en les accentuant.

La popularité, une nouvelle valeur

Elles mettent notamment en évidence la culture de la célébrité qui s’est développée chez les jeunes générations. À une époque de relativisme moral où « tout se vaut », où aucun choix de vie n’est a priori plus estimable qu’un autre, la notoriété devient une des rares unités de mesure permettant de juger de la valeur des autres et de soi-même.

Des adolescents et jeunes adultes d’aujourd’hui ont ainsi comme première aspiration de « devenir célèbre », et ce quel que soit le moyen pour y parvenir (la chanson, le cinéma, la participation à une émission de télé-réalité…).

Les multimédias, les réseaux sociaux et la télé-réalité symbolisent très bien ces idéaux contemporains : très souvent, la valeur d’une personne, d’une opinion ou d’une action y est mesurée quantitativement plus que qualitativement, sur le modèle de l’audimat : le nombre d’amis, le nombre de clics, le nombre de votes, le nombre de « J’aime » (le « like » de Facebook rappelle d’ailleurs explicitement le pouce levé de l’empereur romain face aux gladiateurs), etc.

Il ne faut néanmoins pas diaboliser les médias, qui ne sont pas responsables de cet état de fait. Ils ne sont que le miroir grossissant de phénomènes qui fonctionnent à l’échelle de la société entière, bien au-delà de leur seule sphère d’influence.

Dans les collèges et lycées par exemple, la « popularité » est devenue une valeur dominante et un organisateur des rapports entre jeunes : la place et le rang de chacun sont déterminés par le fait d’être plus ou moins « connu » dans un établissement, sur une échelle qui va des « populaires » aux « paumés » ou « SAF » (Sans Amis Fixes).

Exister à tout prix, au détriment d’autrui et de soi-même

Pour beaucoup des jeunes qui s’exposent et se mettent en scène, la recherche de notoriété n’est pas guidée par un narcissisme hypertrophié, mais par une angoisse, celle de ne pas exister aux yeux des autres.

Ainsi, de nombreux jeunes ne cherchent pas à se faire remarquer par un quelconque talent ou par ce qu’ils ont de meilleur. Ils aspirent à être connus et reconnus à tout prix, quelque soit le moyen utilisé. Certains publient des vidéos dans lesquelles ils se mettent dans des situations dégradantes ; des filles se dénudent devant leur webcam ; des jeunes (notamment « de banlieue ») se parodient eux-mêmes devant des journalistes ; d’autres sont rabaissés au cours de jeux télévisés ; d’autres encore se prêtent à des scenarios d’humiliation voire de mise en danger (cf. le programme « Jackass » sur la chaîne MTV qui remporta un franc succès auprès des jeunes téléspectateurs), etc.

Des jeunes sont ainsi prêts à se transformer eux-mêmes en « phénomènes de foire » pour s’assurer l’accès à une hypothétique célébrité, à une existence dans le regard d’autrui.

Les participants des émissions de télé-réalité sont des stéréotypes de ces individus en quête de reconnaissance.

Prêts à tout pour accéder à la notoriété, ils vont jusqu’à caricaturer leurs propres personnage, à se grotesquiser tels des clowns, à s’avilir, à donner au public ce qu’il attend d’eux, fût-ce des performances dégradantes (cf. le parcours médiatique de Paris Hilton).

Dans bien des cas, c’est le ridicule lui-même qui rend célèbre, comme l’a montré récemment le fameux « Allô ! » de Nabilla des « Anges de la téléréalité ».

Des candidats qui acceptent d’être humiliés

Nombre de ces aspirants à la célébrité ont certainement conscience d’être humiliés et de jouer un rôle, peut-être plus qu’on ne l’imagine. Mais certains sont prêts à payer ce prix pour obtenir la fameuse notoriété qui est l’objet dernier de leur quête.

Beaucoup d’entre eux n’atteignent pas leur objectif et sont « éliminés » en cours de route selon des procédures qui s’apparentent peu ou prou aux lynchages en place publique du Moyen-Âge. Et même les quelques-uns qui atteignent les sommets de cette célébrité factice s’y brûlent souvent les ailes et sombrent dans une détresse psychologique parfois plus profonde que celle qui les a menés sur cette voie (cf. le destin de Loana après son passage dans « Loft Story »).

Les ados se rassurent

Si ces programmes sont souvent dégradants, c’est que la quête de reconnaissance qui s’y exprime consiste davantage à rabaisser les autres (éliminer les concurrents) qu’à se valoriser soi-même.

Ce principe révèle la piètre estime de soi qu’ont les participants, mais aussi les spectateurs de ces émissions. Lorsque l’on n’a pas confiance en soi, on n’essaie pas de progresser vers un idéal ou de s’améliorer et on préfère se conforter en rabaissant ceux qui nous entourent.

C’est pourquoi la plupart des téléspectateurs, loin de s’identifier aux héros des télé-réalités, se délectent de leur ridicule et de leurs déconvenues. Nombre d’émissions pour adultes fonctionnent sur ce même principe, même si elles le font de façon plus subtile (voir le succès des documentaires de « Strip-tease »). Observer la vie décousue de gens marginaux, grotesques ou en échec réconforte à peu de frais le narcissisme des téléspectateurs.

Au final, les adolescents cherchent dans la télé-réalité ce que beaucoup d’adultes cherchent dans d’autres émissions…

Puissent les nouvelles générations trouver aussi d’autres manières, plus constructives, de se valoriser et de nourrir la confiance en soi.

Sébastien Dupont

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