Propos recueillis par Philippe Petit pour Marianne2.
Que faut-il attendre de la victoire socialiste du 6 mai 2012 ? Marcel Gauchet, rédacteur en chef de la revue «le Débat», et le philosophe Bernard Stiegler, qui a participé au volume «l’Ecole, le numérique et la société qui vient», évoquent pour «Marianne2» ce qu’ils espèrent du nouveau gouvernement.
Comment, selon vous, refonder l’école républicaine, redéfinir ses missions, afin d’enrayer le sacrifice éhonté de notre jeunesse et favoriser sa formation ?
Bernard Stiegler : D’abord, comme le soulignent Marcel Gauchet et Marie-Claude Blais dans un livre qu’ils ont fait ensemble, Conditions de l’éducation [Stock], ces conditions-là existent bien. Et on ne peut pas demander à l’éducation nationale de les traiter. La parentalité est extraordinairement abîmée aujourd’hui, il existe désormais des dispositifs de «reparentalisation» pour des familles en plein désarroi – contre lesquelles la droite à tenu un discours de culpabilisation en leur faisant porter la responsabilité à de leur situation souvent désespérée. Ces problèmes concernent la politique de la jeunesse que le président de la République entend mettre en avant. Je note qu’il est très positif que la jeunesse et l’éducation constituent les priorités de son mandat pour autant qu’une politique de la jeunesse c’est d’abord une politique de l’enfance. Or en France, en 2012, l’enfance est en danger. La situation de la petite enfance est très alarmante et il faut y remédier faute de quoi rien de significatif ne sera possible. Les industries culturelles et audiovisuelles doivent faire l’objet d’une discussion publique. On ne peut pas rester les bras croisés devant la captation destructrice de l’attention des enfants qui ruine la vie familiale comme la vie scolaire et les études ultérieures. Il est tout à fait possible d’enrayer cette casse de la jeunesse et les pouvoirs publics en ont avec nous la responsabilité – ce qui est vrai de l’enfance l’étant aussi de l’adolescence et de l’âge adulte. Lorsque Jules Ferry a mis en œuvre sa grande politique, il s’est appuyé sur la naissance d’une industrie éditoriale moderne – celle de Louis Hachette à l’époque de Guizot, celles de Fernand Nathan et Armand Colin à l’époque de Ferry. Aujourd’hui il faut relancer une grande politique éditoriale qui serait mise au service d’une politique éducative entièrement repensée qui redonnerait une utilité sociale et un avenir aux industries culturelles en crise.
Marcel Gauchet : Je suis largement d’accord avec Bernard Stiegler sur ce point, je voudrais juste souligner la démarche. La question qui est posée dans la politique en général et qui est particulièrement aigüe sur le terrain de l’éducation, c’est la question de la méthode. Il est nécessaire de rompre avec les routines techniques et les solutions sectorielles. Par exemple, il va falloir rebâtir la formation des enseignants. C’est un sujet stratégique. Il ne s’agit pas de reconstruire simplement ce qui existait avant, en l’améliorant. C’est une occasion de refonder entièrement ce domaine essentiel. Qu’est-ce qu’un enseignant aujourd’hui ? C’est une question passionnante. On a l’occasion de faire quelque chose de tout à fait neuf qui peut avoir une valeur exemplaire dans toute une série de domaines. Je tiens d’ailleurs à souligner que c’est le secret de la réussite finlandaise. On ne cesse de nous vanter le modèle finlandais, en nous expliquant que sa force est la pédagogie. En réalité le modèle finlandais repose sur une chose et une seule : l’investissement dans les profs. Ils sont extrêmement bien formés et au fait de leur métier. Donc c’est la considération dont jouissent les enseignants qui fait un bon système d’enseignement. Voilà une bonne leçon. C’est aussi la preuve que l’état social ne se résume pas à la sécurité sociale.